
Alors qu’une procédure pour détournement de fonds publics vise Constant Mutamba, le ministre d’État à la Justice riposte avec virulence contre le procureur général près la Cour de cassation, dans une confrontation aux relents de crise institutionnelle.
La République démocratique du Congo est le théâtre d’une nouvelle passe d’armes spectaculaire entre deux piliers de la justice. Le ministre d’État en charge de ce secteur stratégique, Constant Mutamba, s’est frontalement opposé au procureur général près la Cour de cassation, Firmin Mvonde, dans un climat électrique. Au cœur de la polémique : un présumé détournement de fonds publics et des accusations croisées qui menacent de faire vaciller l’équilibre institutionnel.
Un ministre dans le viseur de la justice
Le 21 mai, Firmin Mvonde a saisi l’Assemblée nationale afin d’obtenir la levée des immunités parlementaires de Constant Mutamba. Motif : des soupçons de malversations dans un contrat de 29 millions de dollars attribué à Zion Construction SARL pour la construction d’une prison à Kisangani. Une entreprise qualifiée de « fantôme » par certains parlementaires, et dont la gestion des 19,9 millions déjà débloqués interroge. Le parquet reproche au ministre d’avoir outrepassé les procédures, notamment en s’affranchissant de l’avis des organes de contrôle et de la validation de la Primature.
En réponse, l’Assemblée nationale a mis en place une commission ad hoc, chargée d’auditionner à la fois le ministre et le procureur avant toute levée d’immunité. Une étape décisive qui conditionne l’ouverture d’une instruction judiciaire formelle.
Contre-attaque ministérielle
Mais Constant Mutamba ne s’est pas contenté d’attendre le verdict parlementaire. Dans une adresse au ministère de la Justice, le 26 mai, il a lancé une charge frontale contre le magistrat du parquet général, dénonçant un « acharnement » et une « manœuvre politicienne ». « Dites au procureur général que je n’ai pas peur de la prison », a-t-il martelé devant la presse et ses partisans, accusant Mvonde de chercher à neutraliser un ministre engagé dans le nettoyage du secteur judiciaire.
Mutamba est allé plus loin, rappelant une affaire restée en suspens : l’acquisition présumée par Firmin Mvonde d’un appartement de luxe à Bruxelles, estimé à 900 000 euros. Déjà en novembre 2024, il avait demandé l’ouverture d’une enquête sur cette transaction, soupçonnée d’être le fruit d’un enrichissement illicite. Du côté du parquet, on parle d’un prêt bancaire classique. L’affaire n’a jamais été instruite.
Entre bras de fer politique et crise institutionnelle
Au-delà des individus, c’est la séparation des pouvoirs qui semble mise à l’épreuve dans cette affaire. D’un côté, un ministre réputé proche de la présidence, auréolé de son engagement pour une justice réformée. De l’autre, un procureur général qui avait gagné en popularité en 2023 avec la mise en place d’un système de dénonciation anonyme de la corruption. Entre eux, un profond désaccord sur les méthodes, les priorités et les symboles.
Si les proches de Mutamba dénoncent une cabale orchestrée par un appareil judiciaire encore gangréné par l’impunité, les défenseurs de Mvonde soulignent la nécessité de respecter les procédures, quelles que soient les fonctions occupées. La société civile s’en mêle, appelant à une enquête indépendante, dans un climat où la justice est perçue comme partiellement instrumentalisée.
Un test pour l’État de droit
Alors que l’Assemblée nationale s’apprête à trancher, l’affaire est suivie de près à Kinshasa comme en régions. Pour les observateurs, le traitement de ce dossier sera un marqueur de la capacité des institutions congolaises à faire respecter l’État de droit, y compris au sein du gouvernement.
Dans un pays confronté à des défis colossaux – crise sécuritaire à l’Est, inflation galopante, grogne sociale – les attentes citoyennes sont élevées. L’opinion exige transparence et exemplarité, et les projecteurs braqués sur cette confrontation laissent peu de marge à l’erreur.