
La République Démocratique du Congo (RDC) est assise sur une montagne d’or, de cobalt, de lithium, de cuivre, de coltan… Des minerais stratégiques qui alimentent les batteries des voitures électriques, les smartphones, les satellites et l’armement du XXIe siècle. Et pourtant, malgré cette richesse inestimable, le pays ne dispose d’aucune stratégie nationale solide pour former une élite technologique capable de transformer cette ressource en puissance industrielle. Pourquoi une telle contradiction ?
- L’illusion de la rente minière
Depuis l’indépendance, la RDC a principalement exporté ses ressources à l’état brut. C’est une économie de rente où la matière quitte le pays sans valeur ajoutée. Au lieu d’investir dans des infrastructures de transformation (raffineries, usines de batteries, centres technologiques), les gouvernements successifs ont préféré des recettes immédiates, au détriment d’une vision industrielle à long terme. Résultat : un pays fournisseur de matières premières, mais dépendant technologiquement de l’étranger. - Une déconnexion tragique entre universités et industrie
Il existe bien des facultés de mines dans les grandes universités congolaises — UNIKIN, UNILU, UNIKIS — mais elles sont dramatiquement sous-financées. Laboratoires vétustes, enseignants mal payés, bibliothèques obsolètes… Ces institutions forment des ingénieurs sur des théories dépassées, sans outils ni contact réel avec l’industrie technologique mondiale. Il n’existe quasiment aucun programme structuré en robotique, en science des matériaux avancés, ou en intelligence artificielle appliquée à l’ingénierie minière. - Une élite scientifique absente ou en exil
Sans vision d’ensemble, la RDC ne finance pas de bourses stratégiques pour envoyer ses meilleurs cerveaux dans des écoles d’ingénierie de pointe à l’étranger. Ceux qui réussissent à partir s’installent souvent ailleurs, faute de perspectives à leur retour. C’est la double perte : un capital humain que le pays n’a ni formé ni retenu. - Le piège des multinationales
Le secteur minier congolais est dominé par des multinationales, principalement chinoises et occidentales. Elles exploitent le cobalt et les terres rares sans obligation de transfert de technologie, ni de formation locale de cadres spécialisés. Ces entreprises préfèrent importer leurs propres ingénieurs. La RDC exporte donc du cobalt brut et importe des batteries, des téléphones, des drones — qu’elle aurait pu produire, du moins en partie, si elle formait ses propres techniciens et ingénieurs. - Et pourtant, le potentiel est gigantesque
Imaginons un instant : un État congolais qui crée une École Polytechnique des Mines, de l’Énergie et de la Robotique. Qui envoie chaque année 1 000 jeunes boursiers à l’étranger dans les meilleurs instituts d’ingénierie. Qui oblige les sociétés minières à financer des centres de recherche conjoints et à recruter des talents locaux. Qui développe, avec ses partenaires africains, des satellites, des capteurs miniers, des systèmes d’inspection par drone. Ce rêve est techniquement et financièrement réalisable — il ne manque qu’une volonté politique. - L’Afrique qui ose : des exemples inspirants
Le Botswana a imposé que ses diamants soient taillés localement, générant des milliers d’emplois qualifiés. Le Rwanda a investi dans les drones médicaux et les identités biométriques. Le Maroc est devenu un pôle aéronautique reconnu. La Chine, autrefois pays pauvre, est devenue la première puissance manufacturière mondiale grâce à une stratégie centrée sur la formation massive d’ingénieurs. L’Inde, longtemps marginale, domine aujourd’hui le marché mondial du spatial low-cost. - La RDC n’a aucune excuse
Avec ses ressources, la RDC pourrait lancer un programme national d’excellence technologique dans les 5 prochaines années. Elle a la jeunesse, les minerais, le poids géopolitique, et même les partenaires internationaux prêts à coopérer. Ce qu’il lui manque, ce n’est pas l’argent : ce sont des idées, des institutions solides, et un projet national assumé. - Une souveraineté technologique à construire
Un pays qui dépend des autres pour transformer ses richesses n’est jamais souverain. Sans une élite technologique locale, la RDC restera prisonnière du cycle postcolonial de l’exportation brute et de la dépendance industrielle. L’enjeu dépasse l’économie : il s’agit de construire une puissance africaine indépendante, respectée et capable de s’auto-déterminer technologiquement. - Former les cerveaux, pas seulement extraire les minerais
Le pays le plus riche n’est pas celui qui a le plus de ressources naturelles, mais celui qui sait former, retenir et valoriser ses cerveaux. En RDC, le cobalt est dans le sol — mais le vrai or est dans les têtes. Une stratégie éducative et technologique ambitieuse est la condition sine qua non pour que le pays sorte durablement de la pauvreté. - Un appel à l’action, pas à la résignation
Cette situation n’est pas une fatalité. C’est un choix. Les décideurs congolais peuvent — s’ils le veulent — faire de la RDC un laboratoire africain d’innovation minière, énergétique et industrielle. La jeunesse attend. Les talents existent. Le monde bouge. Reste à savoir si la RDC décidera enfin d’investir dans l’avenir… ou de continuer à vendre son futur au prix du kilo de minerai.
Par Marcel NDEO LOMENA
Observateur et Analyse politique