Accusé de détournement dans l’affaire Bukanga-Lonzo, l’ancien Premier ministre congolais Augustin Matata Ponyo se retrouve au cœur d’un duel institutionnel entre la Cour constitutionnelle et l’Assemblée nationale. Un bras de fer révélateur des tensions autour de l’État de droit en RDC.
Par Junior NGANDU
À Kinshasa, le dossier Matata Ponyo ne cesse de faire des remous. Ce feuilleton politico-judiciaire, qui mêle lourdes accusations de détournement de fonds, immunité parlementaire et rivalités entre institutions, cristallise bien plus que le sort d’un ancien Premier ministre. Il met à nu les fragilités d’un État de droit encore en construction et révèle, en filigrane, les luttes de pouvoir au sommet de l’appareil d’État congolais.
Bukanga-Lonzo, les dessous d’un naufrage
Tout commence en grande pompe, en 2014, avec le lancement du parc agro-industriel de Bukanga-Lonzo, vitrine rêvée de la modernisation agricole sous la présidence de Joseph Kabila. Doté de 285 millions de dollars américains, le projet devait symboliser la lutte contre l’insécurité alimentaire. Il finira par incarner les dérives d’une gouvernance opaque.
En novembre 2020, l’Inspection générale des finances (IGF) publie un rapport accablant : 205 millions de dollars se seraient évaporés. À l’époque Premier ministre, Augustin Matata Ponyo est désigné comme l’« auteur intellectuel » du détournement présumé. L’intéressé nie en bloc, mais le scandale est lancé.
Un procès chahuté, entre suspensions et résurrections
Depuis, les rebondissements judiciaires s’enchaînent. En 2021, la Cour constitutionnelle, alors présidée par Dieudonné Kaluba, se déclare incompétente à juger un ancien chef de gouvernement, mettant un coup d’arrêt aux poursuites. Mais le vent tourne. En 2022, son successeur, Dieudonné Kamuleta, décide de relancer l’affaire, cette fois au nom de la compétence de la Cour à juger les hauts responsables.
Matata, devenu entre-temps sénateur, puis député, ainsi que chef du parti LGD, dénonce une justice à deux vitesses. Il comparaît néanmoins à plusieurs reprises. Jusqu’à ce que le président de l’Assemblée nationale, Vital Kamerhe, vienne troubler la partie.
L’immunité parlementaire, nouvelle ligne de fracture
Le 17 avril 2025, à l’Assemblée nationale, la question est soulevée : les poursuites contre Matata auraient été lancées sans levée préalable de son immunité parlementaire. Une entorse à l’article 107 de la Constitution congolaise, qui protège les députés et sénateurs de toute arrestation ou poursuite sans autorisation préalable.
Douze jours plus tard, Kamerhe adresse une lettre au président de la Cour constitutionnelle. Il y exige la suspension du procès, arguant que toute procédure sans levée d’immunité serait « nulle de plein droit ». Une posture institutionnelle… mais aussi politique. Car derrière le respect des textes se devinent les calculs d’un homme revenu au cœur du jeu après sa propre traversée judiciaire.
La riposte de Kamuleta
La réponse ne se fait pas attendre. Le 2 mai, Dieudonné Kamuleta rappelle que la phase d’instruction étant dépassée, la levée d’immunité n’est plus requise. « Nous sommes dans une phase juridictionnelle », tranche-t-il, en s’appuyant sur une interprétation stricte du droit.
Il en profite pour rappeler l’indépendance du pouvoir judiciaire, sanctuarisée par l’article 151 de la Constitution. Pour lui, toute tentative d’interférence parlementaire dans le travail des juges constituerait une atteinte grave à la séparation des pouvoirs.
Un procès hautement politique
Pour Augustin Matata Ponyo, cette procédure n’est qu’un habillage juridique d’un acharnement politique. Candidat malheureux à la présidentielle de 2023, il dénonce un « complot » destiné à briser sa carrière et écarter une voix critique du régime de Félix Tshisekedi. Des figures de l’opposition, à l’instar de Moïse Katumbi, abondent dans son sens et fustigent une « justice aux ordres ».
Le changement intervenu jadis à la tête de la Cour constitutionnelle – Kaluba écarté, Kamuleta nommé – alimente aussi les soupçons. Certains y voient une reprise en main discrète mais efficace de l’institution judiciaire par le pouvoir exécutif.
La RDC face à elle-même
Alors que le verdict est attendu pour le 14 mai 2025, l’affaire Matata Ponyo s’impose comme un test grandeur nature pour la justice congolaise. Si la Cour passe outre l’immunité parlementaire, elle pose un précédent potentiellement explosif. Mais si elle suspend la procédure, elle risque de perdre en crédibilité dans la lutte contre la corruption.
Entre les lignes, ce procès raconte aussi les tiraillements d’un pays qui peine à conjuguer stabilité politique, indépendance des institutions et exigence de redevabilité. La RDC avance, certes, mais dans une trajectoire semée d’embûches.