
Le 2 mai, à Lusaka, la RDC a obtenu ce qu’elle réclamait depuis plusieurs mois : la mise en place d’une commission d’enquête conjointe sur les flux illicites de minerais vers le Rwanda. Une victoire diplomatique, certes, mais qui met en lumière l’ampleur des failles dans la traçabilité des ressources de la région des Grands Lacs.
La scène s’est déroulée loin des regards, dans les salons feutrés d’un hôtel de Lusaka, capitale de la Zambie. Là, les délégués des douze États membres de la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs (CIRGL) ont accepté, non sans discussions serrées, la création d’une commission d’enquête conjointe sur les flux de minerais illicites entre la République démocratique du Congo et le Rwanda. Une avancée notable, saluée à Kinshasa comme un « tournant diplomatique ». Car derrière cette décision se cache une réalité plus brutale : la contrebande minière continue de saigner l’est congolais.
Un mécanisme ambitieux mais défaillant
Depuis 2010, la CIRGL dispose pourtant d’un outil présenté comme un rempart à l’exploitation illégale des minerais stratégiques – cassitérite, wolframite, coltan et or. Ce Mécanisme régional de certification (MRC), au cœur de l’Initiative régionale contre l’exploitation illégale des ressources naturelles (IRRN), repose sur une série de procédures censées assurer la traçabilité de chaque gramme de minerai, depuis le puits jusqu’au port d’exportation.
Sur le papier, le dispositif est solide : inspection des sites miniers, suivi des cargaisons par certificats, base de données régionale, audits indépendants… Mieux : l’ensemble est aligné sur les normes de diligence raisonnable définies par l’OCDE. Dans la pratique, c’est une autre histoire.
Car les failles sont nombreuses. Des pans entiers du territoire congolais échappent au contrôle de l’État. Les groupes armés y font la loi, parfois en connivence avec des agents publics. Les documents de traçabilité se falsifient à la source. Et les minerais issus de zones rouges trouvent toujours leur chemin jusqu’aux circuits formels, via des voies de contrebande bien huilées, notamment vers le Rwanda.
Un signal politique fort
C’est dans ce contexte que la création d’une commission d’enquête apparaît comme un signal politique fort. Elle aura pour mission de documenter les circuits illicites, d’identifier les acteurs en jeu et de formuler des recommandations concrètes pour renforcer la transparence dans la chaîne d’approvisionnement régionale.
Pour Kinshasa, c’est une manière de pousser ses partenaires à sortir de l’ambiguïté. Depuis plusieurs années, les autorités congolaises accusent, à mots plus ou moins couverts, Kigali de tirer profit des minerais issus de l’est congolais. Le président Félix Tshisekedi ne cesse de réclamer une action concertée au niveau régional. Il semble, cette fois, avoir été entendu.
Mais la réussite de cette initiative dépendra d’un facteur déterminant : la volonté politique des États membres de la CIRGL. Sans coopération sincère, sans engagement à appliquer les recommandations de la future commission, l’effet pourrait être purement cosmétique.
Un défi de souveraineté
Au fond, la question posée est celle de la souveraineté sur les ressources. À qui profitent réellement les richesses minières de la RDC ? Quels mécanismes régionaux peuvent garantir qu’elles ne financent ni la guerre ni la corruption ? Et comment faire en sorte que les mécanismes de certification ne deviennent pas des vitrines sans effet ?
La commission d’enquête aura fort à faire. Mais elle offre aussi une opportunité : celle de relancer une dynamique régionale autour d’une gestion plus responsable des ressources naturelles. Car dans les Grands Lacs, la traçabilité n’est pas seulement une affaire de technique ou de formulaires : c’est une bataille politique et sécuritaire de premier ordre.
La Rédaction